¾ Rares sont les polars qui font intervenir une enquête sur l’abandon d’un enfant. D’où vient cette idée ?
¾ D’une frayeur d’enfant. J’ai des yeux bleus, mes parents avaient des yeux marrons. Cela suffisait pour jeter le doute. Cette idée évidemment infondée m’a poursuivi un bon moment. Mais qui ne s’est jamais demandé si ses parents étaient bien ses parents ?
¾ Le doute effleure tout le monde, mais il s’estompe très vite…
¾ Pour la plupart des gens, oui. Mais pour certains, le doute demeure à jamais. C’est le cas de l’enfant maltraité. C’est le cas de l’enfant abandonné qui cherche désespérément sa mère. C’est cette double souffrance qui constitue le cœur de l’intrigue.
¾ J’y vois aussi une interrogation plus large, celle du désir d’enfant. J’ai été frappée de constater que les femmes décrites dans le roman ont, chacune, une vision particulière de leur rôle de mère. C’est intentionnel ?
¾ La mère adoptive, la femme en mal d’enfant, la mère abusive, la femme qui refuse l’enfant… On ne peut plus parler, de nos jours, de normalité maternelle. J’ai voulu transcrire cette réalité comme une mosaïque.
¾ Dans vos précédents romans, la filiation a déjà une grande place. Ce roman est-il une suite dans vos travaux ?
¾ Plutôt un autre regard sur la trajectoire de vie. « Concert pour Asmodée » parle d’un secret de famille, « Le fond tu toucheras » décrit la répétition d’un drame à travers trois générations, « Le fruit du doute » est en quelque sorte la preuve par l’absurde du même phénomène. Chacun a besoin de s’inscrire aussi bien dans le présent que dans le passé. Et quand le passé n’a pas de nom, la souffrance décuple. C’est une des grandes découvertes de la psychogénéalogie. Quand on a des ancêtres, on peut dire « Aïe, mes aieux ! », parce qu’on hérite de leurs gènes et aussi de leur histoire. Quand on n’a pas d’ancêtre, on crie « Aïe, pauvre de moi » parce qu’on est le seul référent de sa propre histoire.
¾ Berthier, le commissaire, aime son métier, mais il n’obéit pas facilement aux injonctions, apparemment…
¾ Il a la nuque un peu raide, c’est vrai. Mais par-dessus tout, il aime sa liberté et il la paye chèrement. Sa liberté de penser, notamment. Athée dans un monde de plus en plus marqué par les religions, désobéissant aux ordres du substitut, menant une enquête illicite, refusant de dénoncer… Le personnage prend des risques et en même temps, il montre sa fragilité.
¾ C’est la troisième fois qu’il apparaît. Cette fois, on découvre sa vie privée…
¾ Et sa vie privée n’est pas particulièrement brillante… Il me fallait un contre-point à l’enquête très personnelle qu’il entreprend pour retrouver la mère du bébé abandonné. À enquête personnelle, explication personnelle.
¾ Un personnage récurrent ?
¾ Peut-être, mais je ne veux pas me laisser enfermer dans le personnage ni le genre. Je me donne le droit de patrouiller dans la fiction aussi loin que possible.
¾ J’ai trouvé intéressant les deux enquêtes entremêlées. L’une moderne, avec tout le saint-frusquin scientifique, et l’autre à la papa…
¾ De nos jours, l’ADN est un outil formidable, mais il n’est pas toujours probant. Alors, rien ne remplace l’intuition, l’imagination, la mise en scène pour faire surgir les indices et les pistes. En ce sens, Maigret n’est pas mort, loin de là.
¾ Le monde de la Brigade Criminelle est décrit de manière très précise. Cela voudrait-il dire que l’avez fréquenté ?
¾ Oui, j’ai eu la chance de visiter de fond en combles le 36 Quai des Orfèvres et surtout de pouvoir interroger les enquêteurs, le patron, les fonctionnaires de police… C’est un monde à part dans la police. Rien à voir avec un commissariat normal. Cela ne veut pas dire non plus que c’est un monde idéal.
¾ Jamais de morale, jamais de jugement dans vos livres. C’est une marque de fabrique ?
¾ C’est aux lecteurs de juger. Je ne fais que présenter les éléments d’un puzzle social, tout en me méfiant de la notion du bien et du mal. Pour moi, le romanesque n’est pas là pour dénoncer ni pour faire la morale. Il est là pour le plaisir de la lecture et pour la réflexion qu’il peut occasionner. Autrement, on écrit un pamphlet, un tract syndical, un essai de philosophie politique, ou même un traité de savoir-vivre…
¾ Vos polars, et « Le fruit du doute » en particulier, provoquent des sentiments intimes davantage que des angoisses. Ce qui leur donne une patte particulière. Rien n’est jamais définitivement noir, n’est-ce pas ?
¾ C’est le côté italien de ma mère... Il me fait sourire dans les moments dramatiques, et traiter l’inéluctable par la dérision. Je n’arrive pas à traiter la mort d’une autre façon. Un trait d’orgueil sans doute. Du coup, les personnages ne sont jamais tout noir ou tout blanc. J’aime utiliser l’infini palette de gris dans leur vie quotidienne. Un monstre peut pleurer. Un chef peut avoir de l’humour. Un raciste peut tendre la main. Un flic peut entretenir la tendresse… Les sujets de société et les personnes dans leur complexité m’intéressent tout autant que l’univers du crime. J’ai toujours l’impression que les romans se font au bord de quelque chose. Au bord du genre, au bord des mots, au bord de ce qui échappe. Alors il y a toutes les raisons pour qu’un polar contienne, aussi, le monde sensible, le monde onirique, le monde de la générosité.
¾ Et le titre « Le fruit du doute » ?
¾ C’est un jeu de mots, bien sûr. Mais, chut ! Il cache les différentes facettes de l’intrigue et alimente la chute.
Propos recueillis par Gro Trollet , ODIN éditions Octobre 2009
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