Je reprends ici un article publié dans Le Monde du 27 avril 2010. Il est signé par Alain Absire, écrivain, président de la Société des gens de lettres.
La pétition est en ligne : www.jesigne.fr/petition-appeldunumerique.
En mars 2007, Le Monde publiait l'un de mes articles intitulé : "Le livre numérique en zone de non droits", qui, faisant des relations contractuelles entre auteurs et éditeurs l'axe incontournable d'une politique réussie de numérisation des livres, posait le contexte. S'en suivit l'ouverture de discussions professionnelles entre la Société des gens de lettres (SGDL) dans son rôle de médiateur et le Syndicat national de l'édition (SNE), en vue de définir ensemble les bases d'une gestion des droits numériques équitable et sans heurts. Las ! Après deux ans et demi de discussions, tandis que Google continue à numériser nos livres à tour de bras, et que, en quelques jours, aux Etats-Unis, 600 000 livres numériques ont été téléchargés sur la nouvelle tablette iPad, tout accord, même provisoire et dans la ligne de la législation actuelle en attente de négociations plus larges, s'avère impossible.
En dépit de nombreuses concessions des auteurs, malgré l'approche constructive d'éditeurs tels que P.O.L. et le travail de réflexion de fonds entrepris depuis des années, y compris en matière de contrat numérique, par les Editions Gallimard, pour des raisons inexplicables à nos yeux, plusieurs membres du SNE ont choisi de ne pas signer l'accord a minima auquel nous étions parvenus au terme de nombreuses et longues séances de travail. Préférant ignorer les préconisations des rapports Zelnik et Tessier sur la numérisation du patrimoine écrit, ils souhaitent engager de nouvelles discussions, alors même que nous étions parvenus à des propositions communes.
Soyons clair : les auteurs ne réclament pas un quelconque privilège supplémentaire. Ils veulent simplement instaurer un partenariat équilibré dans la continuité de leurs relations avec leurs éditeurs traditionnels auxquels ils sont souvent très attachés, et s'assurer une rémunération décente sur l'exploitation de leurs livres dématérialisés. Face à des modes de création, de publication, de diffusion, d'usage et de lecture révolutionnaires, et sans modèle économique défini, ils ne peuvent se résoudre à figer les nouvelles pratiques éditoriales selon les seuls paramètres de l'édition papier.
Pour que la chaîne de valeurs du livre ne soit pas rompue, au détriment des lecteurs, par un séisme dont le monde entier mesure l'ampleur, auteurs et éditeurs sont aujourd'hui obligés d'innover. Les écrivains de langue française n'en peuvent plus qu'on leur rappelle sans cesse leur devoir de "confiance réciproque", alors que, dans le cadre de relations interprofessionnelles à éclipses, rien de neuf ne se formalise. Est-il besoin de redire que, via la SGDL, les auteurs ont osé attaquer Google, aux côtés du SNE, avec le succès que l'on sait, et qu'ils n'ont pas l'intention de se tenir à l'écart des actions pour contrefaçon contre la firme américaine annoncées par plusieurs éditeurs au Salon du livre ?
De retour de Bruxelles, la SGDL et l'ensemble des délégués de l'European Writers' Council ont pu constater l'engagement de nombreux membres du Parlement européen en faveur de négociations collectives équilibrées entre auteurs et éditeurs. Sachant que plusieurs Etats, dont l'Allemagne, se prononcent en ce sens, nous ne pouvons continuer à perdre un temps qui nous est compté en espérant que l'univers numérique ait une chance de se clarifier.
Dans l'attente d'un développement des usages de la profession, et face aux numérisations de masse actuellement à l'étude, il est ainsi vital d'admettre que, supprimant la notion même de stocks et d'édition "épuisée", les techniques d'exploitation numériques sont distinctes de l'exploitation permanente et suivie des livres imprimés. Comme il est impératif de repenser le mode et la durée de cession des droits numériques, faute de quoi nombre d'auteurs se tourneront vers un nouveau type d'éditeurs dont le seul objectif est la rentabilité immédiate... e-libraires, e-diffuseurs, pionniers des techniques numériques et autres opérateurs télécom peu soucieux de la qualité des contenus en ligne, mais plus offrants et à la pointe des services informatiques et des techniques de Web-marketing permettant une diffusion active de chaque ouvrage en ligne.
Dans cette attente, et pour se faire entendre après trop de fins de non-recevoir, de nombreuses organisations d'écrivains et illustrateurs de livres viennent, à l'instar de leurs confrères de la bande dessinée, de lancer une pétition en appelant aux pouvoirs publics pour obtenir l'ouverture de négociations interprofessionnelles représentatives de l'ensemble des éditeurs et des auteurs. Une telle initiative, la première en son genre, ne peut qu'être entendue... A moins que les premiers maillons de la chaîne du livre ne préfèrent laisser Google, Amazon, Apple et quelques autres dormir tranquilles en se répétant que demain leur appartient.
Les commentaires récents