La même année, il avait vendu 200 000 exemplaires d'un ouvrage écrit avec Marie-France Etchegoin, Code da Vinci, l'enquête (Robert Laffont), premier décryptage du best-seller de Dan Brown. Depuis, tous ses essais sur la religion et la philosophie se vendent à plus de 100 000 exemplaires en France et ses romans connaissent un succès croissant à l'étranger.
"Best-sellarisation" du marché. Pourtant, cette "success story" est l'arbre qui cache une forêt : celle des sans-grade, sans visibilité, sans à-valoir, sans revenus. Car, en France, les écrivains qui vivent bien de leurs écrits constituent une infime minorité. Sur ce sujet, donner des chiffres précis relève de la gageure, mais une chose est claire : "Par rapport au nombre de livres publiés en France (60 000 dont 35 000 nouveautés), très peu d'écrivains vivent de leur plume, mais ils en vivent très bien", constate l'éditeur Gilles Cohen-Solal (éd. Héloïse d'Ormesson).
En vingt ans, la "best-sellarisation" du marché a creusé les écarts. Des "goldens girls" (Anna Galvalda, Fred Vargas, Amélie Nothomb, Muriel Barbery, rejointes désormais par Katherine Pancol) aux RMistes de l'édition, La condition littéraire (pour reprendre le titre d'une étude du sociologue Bernard Lahire sur le sujet, publiée en 2006 aux éditions La Découverte) est formidablement hétérogène.
Le fossé s'est accru entre des auteurs inconnus, qui arrivaient encore à vendre 3 000 exemplaires il y a dix ans et atteignent péniblement 400 aujourd'hui, et les romanciers qui dépassent les 30 000 exemplaires - seuil à partir duquel on considère que les écrivains peuvent vivre confortablement de leur plume.
Réalisé par Ipsos pour le magazine Livres Hebdo, le classement des meilleures ventes 2009 identifiait quarante auteurs français dans cette catégorie. Il court de Jean-Philippe Toussaint, qui a atteint 29 000 ventes pour La Vérité sur Marie (éd. Minuit), ou Pierre Michon, 32 000 exemplaires pour Les Onze (éd. Verdier) jusqu'à Marie Ndiaye, 346 000 ventes pour Trois femmes puissantes (Gallimard), Prix Goncourt 2009. Ces données, qui reposent sur un échantillonnage, constituent une fourchette basse, qui peut être réévaluée d'au moins 20 %.
Clé du succès : la fidélisation du lectorat. Encore faut-il que ces ventes soient régulières. C'est de cela que dépend la survie financière des auteurs. "Je suis désormais dans une sécurité matérielle, mais dans l'inquiétude de ne pas décevoir les lecteurs qui me sont devenus fidèles", reconnaît Frédéric Lenoir.
La clé du succès repose sur la fidélisation du lectorat. "A partir d'un certain seuil de diffusion, vous avez un public qui vous suit", constate encore Frédéric Lenoir, qui sait de quoi il parle : pendant quinze ans, avant ses premiers succès, il avait "bouffé de la vache enragée" en publiant des livres qu'il vendait à moins de 5 000 exemplaires.
Et il n'est pas le seul. Pour Tatiana de Rosnay, l'envol a correspondu à la parution d'Elle s'appelait Sarah (éd. Héloise d'Ormesson, 2007), dont l'adaptation sort le 13 octobre, au cinéma. Ex-journaliste, elle peut désormais vivre de son oeuvre mais elle a dû attendre son neuvième roman pour crever l'écran. Au point de se retrouver confrontée à des questions de riches, comme le problème de l'imposition. "Si je quitte la France pour des raisons fiscales, je l'annoncerai d'abord sur Twitter", plaisante-t-elle.
Autre exemple, en cette rentrée de septembre, Daniel Pennac cosigne le scénario du dernier album des aventures de Lucky Luke dont le tirage initial s'élèvera à 350 000 exemplaires. Depuis le succès des aventures de la famille Malaussène, qui a culminé avec La Petite Marchande de prose (Gallimard), en 1989, l'ancien cancre devenu écrivain accumule les succès, quel que soit le livre publié, roman, BD ou essai, comme Chagrin d'école (Gallimard), prix Renaudot 2007.
Encore ces écrivains n'appartiennent-ils pas à ce club minuscule et très fermé : celui des auteurs dont la signature vaut de l'or. A la tête de ce petit groupe de privilégiés, Marc Lévy, le numéro un français des ventes, dont Les Echos avaient évalué le chiffre d'affaires global à 80,6 millions d'euros, en novembre 2008 - un cumul de toutes les ventes et droits dérivés (traduction, poche, club, cinéma) de ses livres, entre 2005 et 2008. Dans ce petit cénacle figurent évidemment Guillaume Musso et Bernard Werber, respectivement à 35 et 33 millions d'euros, mais aussi Anna Gavalda et Fred Vargas. Eric-Emmanuel Schmitt, Jean-Christophe Grangé, Frédéric Beigbeder, Michel Houellebecq, Jean d'Ormesson mais aussi Uderzo ou Zep, le créateur de Titeuf, les suivent de près.
Des métiers d'appoint. En fait, "les écrivains vivent plus ou moins bien de leur plume",nuance Jean-Marc Roberts, patron de Stock. Parmi les auteurs qu'il publie, Erik Orsenna tire des revenus très substantiels de ses romans. Même chose pour Jean-Louis Fournier, prix Femina 2008 avec Où on va, Papa ? et Philippe Claudel, écrivain et réalisateur de cinéma.
Depuis le succès des Ames grises en 2003, Philippe Claudel pourrait parfaitement vivre de ses romans, mais il a tenu à conserver son poste d'enseignant, autant "par inquiétude personnelle"que "pour garder un ancrage dans le réel". D'autres, comme Brigitte Giraud, Laurence Tardieu ou Jean-Marc Parisis pourraient peut-être vivre de leurs livres, grâce à des ventes supérieures à 20 000 exemplaires, mais ont préféré continuer à exercer, en parallèle, des métiers d'appoint.
La question n'est pas uniquement d'ordre financier. Chez les écrivains, le débat est ouvert entre ceux qui tiennent à conserver une activité hors écriture et ceux qui préfèrent se consacrer entièrement à la littérature. Annie Ernaux a gardé un poste d'enseignante quand Stéphane Audeguy s'est mis en disponibilité de l'éducation nationale, depuis la sortie de son deuxième roman Fils unique (Gallimard, 2006).
De son côté, le tout jeune Jean-Baptiste Del Amo, dont le deuxième roman Le Sel (Gallimard) vient de paraître, souffre de ne plus travailler. Agé de 28 ans, ex-travailleur social et actuellement pensionnaire à la Villa Médicis, il explique que "l'écriture enferme énormément".
Certains, en revanche, n'ont pas ce genre d'états d'âme. Car, si tous les écrivains ne gagnent pas forcément d'argent, tous ceux qui gagnent de l'argent grâce à l'écriture ne sont pas forcément des écrivains. C'est le cas de Tony Blair, qui vient de toucher un à-valoir de 5,6 millions d'euros pour la publication de ses Mémoires (intégralement reversés à une ONG).
En France, les Mémoires de Jacques Chirac, vendus à plus de 250 000 exemplaires, sont un des grands succès de librairie et constituent une source de revenus non négligeables pour l'ancien président de la République. De même, Une vie (Stock) de Simone Veil, avec plus de 400 000 exemplaires vendus a été un best-seller en 2007. Aujourd'hui des auteurs tels que Claude Allègre, Jacques Attali ou Luc Ferry sont des auteurs financièrement comblés, alors que l'écriture n'est pour eux qu'une activité parmi d'autres.
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