La Saussaye : 58 auteurs au 5e Salon du livre le dimanche 16 mars
L'association Mieux Vivre à La Saussaye a interviewé pour vous Scholastique Mukasonga, rescapée du génocide du Rwanda et Prix Renaudot 2012 et Alain Bron, consultant en management.
Dernière mise à jour : 26/02/2014 à 07:07
Le 5e Salon du Livre de La Saussaye ouvrira ses portes le dimanche 16 mars prochain. Cinquante-huit auteurs accueilleront les visiteurs : 35 auteurs de littérature générale, 15 auteurs Jeunesse et 8 auteurs –illustrateurs BD. Le « Café littéraire » sera animé par Frédéric Seaux, chroniqueur littéraire sur RCF Haute-Normandie. Il interviewera 6 auteurs. L’association Mieux Vivre à La Saussaye qui organise ce Salon vous présentons deux d’entre eux: Scholastique Mukasonga, rescapée du génocide du Rwanda et Prix Renaudot 2012 et Alain Bron, consultant en management.
Rencontre avec l’Invitée d’honneur Scholastique Muksonga, rescapée du génocide du Rwanda

Scholastiques Mukasonga a d’abord écrit trois livres autobiographiques, « Inyenzi ou les cafards » (en 2006), « La Femme aux pieds nus » (en 2008), « L’Iguifou » (en 2010) et enfin, un roman « Notre-Dame du Nil » en mars 2012. C’est ce roman qui lui a valu de recevoir le Prix Renaudot.
Votre enfance a été marquée par les épisodes tragiques du Rwanda. Dans différentes interviews, vous employez volontiers le mot « énergie ». Vous dites d’ailleurs « La mort des nôtres nous nourrit d’énergie ». Quel sens donnez- vous à ce mot ?
L’énergie fut pour moi quelque chose de spontané. Cette force m’est venue immédiatement. J’ai eu la chance de rester debout. Et le destin a fait que je me suis trouvée en Basse Normandie. J’y ai découvert des associations et tout un mouvement autour du courage de vivre. J’habite dans le Calvados, à Saint Aubin-sur-Mer, proche des plages du débarquement. J’ai lu ce qui a été écrit sur la guerre et sur ces journées de juin 1944. J’ai découvert alors l’importance de l’écrit.
Comment l’écriture vous a-t-elle aidée à vivre ?
Au moment du génocide, la tête ne pensait plus, j’ai arrêté de penser. Quand on est esquinté au plus profond de soi-même, vous ne parlez plus. Vous voulez vous protéger… ça fracasse le cerveau, on ne dit rien parce qu’on a peur de blesser ceux qui vous entourent. Je voulais protéger mes deux fils. C’est quelque chose de très douloureux, on ne peut pas raconter le génocide.
Dans « Notre-Dame du Nil », vous faites dire à Virginia : « Nous autres, les Tutsi, on nous a appris à nous taire ». L’écriture est-elle, pour vous, une libération de la parole ? Et comment avez vous trouvé le chemin de l’écriture ?
Pour la scolarité, il y avait un quota au Rwanda : les places à l’école étaient réservées aux Hutus : à l’école, il fallait moins de 10% de Tutsi. Pour y arriver, il fallait de l’énergie. Elle m’a été transmise par mes parents : mon père avait juré que si un enfant arrivait à survivre, il fallait lui ouvrir le chemin de l’école. Et ma mère a pris en charge les aspects matériels et elle a tout fait pour nous cacher et nous sauver de la mort. Sauvée, j’ai pu accéder à l’enseignement secondaire. Et ma mère était une conteuse. Elle vivait la tradition orale. J’étais destinée à devenir une conteuse orale. Je suis devenue une conteuse par écrit.
Et puis, en avril 73, j’ai été chassée de l’école, nous vivions dans l’humiliation totale ! Mes parents ont décidé, alors, que je serai la mémoire des gens. Vingt ans après, ma mémoire s’est réveillée et j’ai pris conscience de cette responsabilité vis-à-vis des miens. Il me fallait transmettre. D’une certaine façon, c’est la responsabilité que ma mère m’a confiée. Je prête mon écriture.
« Ecrire, ça vous guérit ! »
Vous avez dit : « En exil, j’étais une victime du dedans, je suis l’écrivaine du dehors ». Vous avez donc pu sortir de vous même ?
L’énergie fut soutenue par l’écriture. C’est une évidence : j’ai été guidée par la force de l’écriture ! C’est grâce à elle que j’ai pu extraire ce poison, le poison de la haine. Et c’est alors qu’on est sauvé. J’ai lu, bien plus tard, Primo Lévi (NDLR, ses livres sur la Shoa) et ça m’a aidé à comprendre encore davantage. Ecrire, ça vous guérit. Je me confie à la feuille.
A propos de vos deux premiers livres autobiographiques, « Inyenzi ou les Cafards » (2006) et « La femme aux pieds nus » (2008), vous écrivez : «(ils sont) le tombeau de papier que je devais élever pour les miens et tous ceux qui gisent anonymes dans les ossuaires et les fosses communes, c’est le linceul dont je n’ai pu recouvrir le corps de ma mère ». Vous avez pu écrire des récits autobiographiques : pourquoi un roman comme « Notre-Dame du Nil » ?
Il fallait que je trouve une autre façon de m’exprimer. Je ne pouvais pas en rester au niveau de la biographie. La forme romancée de Notre-Dame du Nil, enracinée dans la réalité, m’a guérie définitivement.
Vous m’avez dédicacé votre roman en écrivant : « Notre-Dame du Nil pour espérer revivre ensemble ». Est-ce une réponse ?
Au lendemain du génocide, nous avons posé un regard sur nous mêmes : qui sommes-nous ?
La communauté internationale nous avait abandonné à notre triste destin. Alors que nous étions des êtres humains et non pas des cafards. Nous étions lucides. Nous n’avions jamais eu de la haine en nous-mêmes : elle ne pouvait pas nous aider à reconstruire le Rwanda. Si nous avions perdu beaucoup des nôtres, nous n’avions pas perdu le Rwanda, nous ne pouvions pas tuer le Rwanda. Nous avons fait le choix de revivre ensemble. Tout le monde a été victime : il nous faut vivre une « recréation ».
« Le mot fort : la réconciliation »
Votre livre « Notre-Dame du Nil » semble bien marqué par la religion catholique (le récit se déroule dans un lycée catholique de jeunes filles) et par la colonisation qui a imprégné le Rwanda. Comment voyez-vous les choses aujourd’hui ?
Les massacres ont eu lieu dans les églises. Les traces sont là, indélébiles. Et ce n’est pas ce qu’on nous avait enseigné. Les religieuses impliquées ont été condamnées. Le prêtre a trahi des gens qui ont subi viols et meurtres… Il a été condamné lui aussi. J’ai situé le lycée Notre Dame du Nil dans les années 70. Je présente le contexte de l’Eglise de ces années là. On s’est trouvé face à l’hypocrisie, à l’indifférence totale de la communauté internationale.
Aujourd’hui, les écoles sont reconstruites, j’y suis retournée plusieurs fois. Les gens sont émerveillés par l’essor. Il y a encore des écoles privées. Maintenant, les gens choisissent le prénom de leurs enfants et non plus les prêtres. Nous avons un autre regard. Pour en arriver là, nous n’avions pas besoin d’un génocide.
Victimes et bourreaux doivent en sortir ! Les bourreaux prennent conscience : comment avons-nous été manipulés ? On a tué nos voisins avec lesquels on partageait tout ! Il nous faut recréer le village ! Que la justice fasse son travail ! Mais il ne faut pas que nous soyons les otages du passé !
Nous sortons de tout cela. Le mot fort : « la réconciliation ».
Propos recueillis pour Mieux Vivre par Henry Lambrecq
Alain Bron : « Ecrire des romans policiers, c’est aussi exprimer ce qui doit nous faire vivre ! »

Alain Bron s’est d’abord investi dans les domaines de l’économie politique et de la psychosociologie. « La gourmandise du tapir », a été sélectionné comme l’un des meilleurs livres de management de l’année 1995. Après des livres sur l’économie, il a publié un premier roman « Concert pour Asmodée » et de nombreuses nouvelles Engagé aussi dans l’action culturelle (« Le Chemin des cinq sens » en Ardèche »), il écrit des romans policiers, reconnus et primés. C’est à ce titre qu’il participera au 5ème Salon du Livre de La Saussaye.
Alain Bron, vous êtes né en Tunisie. Vous arrivez en France au moment de l’indépendance et, à 16 ans, vous êtes lauréat de la « Bourse d’aventure ». Vous choisissez de partir seul au Sahara. Pourquoi ce choix ?
C’était pour moi, l’occasion de revoir la Tunisie. La Bourse de l’aventure vous permettait le billet aller mais pas le retour et, là-bas, il fallait se débrouiller pour subvenir à ses besoins ! En fait, j’y suis resté plus longtemps que prévu… J’y ai vécu de petits boulots. J’ai pu enfin rejoindre Marseille et rentrer chez moi en « stop ». C’est fou ! Je n’aurai pas laissé partir mon fils comme ça ! Mes parents étaient très inquiets ! Quand vous revenez, votre manière de regarder le monde est complétement différente ! J’étais en décalage avec mes professeurs… J’ai grandi d’un seul coup ! Et j’ai gardé des réflexes. D’abord, l’humilité qu’il faut avoir dans la vie. Ensuite, j’ai découvert la générosité : celle des gens qui n’ont rien. Enfin, la façon d’écouter. Savoir interpréter les silences. C’est encore plus vrai dans le monde arabo-musulman.
Vous devenez expert dans l’univers de la communication informatique. Vous assurez encore aujourd’hui des expertises dans les entreprises auprès de groupes d’hommes et de femmes au travail : qu’est-ce qui vous conduit ? Quel est le fil rouge de votre existence ?
J’ai été happé par l’industrie au moment du lancement de l’informatique, ce qui m’a fait découvrir les cinq continents. Mais dans les années 90, je rencontre le sociologue Vincent de Gaulejac. J’étais intrigué par les gens que je rencontrais dans le cadre des crises sociales à l’occasion desquelles on nous appelait et on s’est dit : « pourquoi ne pas faire un livre pour communiquer ce que nous découvrions dans ce véritable laboratoire social ? » Ce que nous avons fait. Mon « credo » ? C’est l’importance de travailler vraiment ensemble. Tout est fait aujourd’hui pour différencier les individus, pour ne reconnaître que les performances individuelles. On ne parle plus de la confiance en l’autre mais de la défiance en l’autre. On en vient à mettre au pinacle des gens qui se sont faits contre les autres… Tout cela a cassé les liens sociaux, a brisé les liens collectifs dont on sait qu’ils assurent la qualité de production.
Après avoir écrit des livres sur le management reconnus et primés dans ce domaine, vous vous lancez dans l’écriture de romans policiers. Pourquoi ?
J’aurais pu écrire un nouvel essai sur les trajectoires familiales, dont on sait aujourd’hui qu’elles sont majeures dans l’accomplissement (ou non) d’un individu. Mais, pour exprimer la même chose, je me suis lancé un défi : un roman écrit pour le plus grand nombre avec un langage de tous les jours et une intrigue policière, prétexte à découverte. Ainsi est né « Concert pour Asmodée » ((distribué pendant 13 ans, réédité 4 fois). Il a marqué une vue très particulière du roman policier que je résume en deux mots : humanité et humour. Cette particularité m’a valu une reconnaissance (prix, nominations, dictionnaire de la littérature policière…). Ecrire un roman policier, c’est tisser une intrigue, mais c’est surtout porter un regard sur la société, sur les hommes et les femmes, sur leurs lieux de vie qui recèlent des parts d’histoire et de mystère. C’est le moyen d’exprimer, par différence, ce qu’on pense être l’essentiel de nos vies.
Quand vous vous êtes lancé dans la manifestation artistique en Ardèche, qu’est-ce qui vous a conduit ?
C’est le sens de la rencontre. Quand on rencontre quelqu’un, on s’enrichit. Et encore plus quand c’est un étranger. La plupart des gens ne connaissent pas le monde de l’art. Ce sont nos façons de vivre qui les placent à l’écart de l’expression artistique. Au lieu de les pousser à entrer dans des musées, on s’est dit, avec des amis : « Et si on faisait l’inverse ? » On a donc placé les oeuvres d’art dehors, ici et là, sur plusieurs kilomètres. On a créé un « parcours d’art in situ ». Nous enregistrons 3000 visites par an. Et c’est une vraie jubilation de créer ensemble quelque chose. Onze ans après, le projet se perpétue : on accueille de nouveaux artistes régulièrement.
Votre dernier livre « Vingt-sixième étage » que vous nous présenterez au 5ème Salon de La Saussaye est finaliste d’un prix littéraire. Comment avez vous associé votre regard sur la vie avec cette intrigue bien particulière ?
Imaginez un conte philosophique bourré d’humour sur le monde de l’entreprise, vous avez « Vingt-sixième étage ». Avec une question centrale : l’entreprise considère-t-elle l’homme à sa juste place ? On bouge les hommes comme des bidons ! On considère les hommes comme des ressources humaines pour l’entreprise, alors qu’il faut faire l’inverse : c’est l’entreprise qui doit être une ressource pour les hommes ! Il y a entre les directions d’entreprise et les salariés des écrans dans tous les sens du terme. Dans les contextes actuels, les responsables fuient trop le dialogue et la confrontation. On ne dira jamais assez qu’il faut aimer les gens et la rencontre, même dans l’entreprise. Ce n’est qu’à partir de là qu’on trouvera les solutions les plus adaptées.
Imaginons que vous devez partir loin, loin de votre lieu de vie, loin de celles et de ceux que vous aimez, qu’emporteriez-vous ?
D’abord, un livre de Stendhal : « Le rouge et le noir ». Un livre qui m’a beaucoup marqué. Tout est toujours à y découvrir. Et puis, j’emmènerais un hamac ! Pour la détente, le repos et la méditation ! Sur un hamac, on ressent ses rêves plus que partout ailleurs ! Puis enfin, un compagnon de route, un chat. C’est une présence d’une intelligence inouïe !
La Saussaye 27
http://www.lecourrierdeleure.fr/2014/02/26/58-auteurs-au-5e-salon-du-livre-le-dimnache-16-mars/
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Bibliographie d'Alain BRON :
http://alainbron.ublog.com/alain_bron_auteur/bibliographie/index.html
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